Jean de Dieu, le Diabolique
Jean de Dieu, le Diabolique

Tout semblait aller pour le mieux à Abadiânia, petite ville près de Brasilia, qui prospère grâce à João de Deus, le célèbre médium. Mais tout a basculé en ce début décembre, quand des centaines de femmes se sont mises à dénoncer le guérisseur pour abus sexuels. Elles sont aujourd´hui près de 600, certaines n´étaient que des fillettes à l´époque des faits, les temoignages affluent du monde entier ; celui qui aurait guéri des milliers de personnes, en aurait aussi meurtri des centaines d´autres. Débordée par le raz-de-marée des plaintes, le juge chargé du dossier décide alors de la prison préventive de João de Deus. Lors de l´enquête, la police trouve à son domicile plusieurs armes à feu illégales et une importante somme d´argent en espèces, ce qui fait dire aux enquêteurs que João de Deus serait impliqué dans une organisation criminelle.

Rien n´est simple dans le monde des esprits, et pour cause, il est si secret. Pourtant, depuis plus de 40 ans, le médium João de Deus, qui reçut aussi le titre de guérisseur spirituel par l´église catholique, semblait y évoluer en toute aisance. Il faut dire que des milliers de fidèles, dont une myriade de célébrités brésiliennes et mondiales, ont contribué au succès du guérisseur en faisant le « pélerinage » à Abadiânia, pour beaucoup dans l´espoir d´approcher le divin, qui par la main du médium allégerait leur souffrance et leur rendrait la santé, physique ou spirituelle. C´est ainsi, que tel le Messie, celui qui se faisait appeler Jean de Dieu, régnait sur toute une cohorte d´adeptes, crédules ou desespérés, venus de tous les horizons, de toutes les classes sociales, des gens qui avaient perdu la foi en la médecine moderne, et pour lesquels João de Deus représentait bien souvent le dernier espoir ; là où tout avait échoué, s´il restait une chance, aussi minime soit-elle, c´est à Abadiânia qu´elle se trouvait.

Ce que beaucoup ignorait, et que certains taisaient, c´est qu´un médium est aussi, et avant tout, un homme, avec ce qu´il peut avoir de pire, car un homme peut être une bête quand il se laisse dominer par ses instincts les plus vils, qu´il devient un monstre quand il profite de sa notoriété et qu´il commet ses actes infâmes au nom de dieu ou de ses émissaires.

João de Deus recevant les patients au centre spirite Casa de Dom Inácio de Loyola.

João de Deus recevant les patients au centre spirite Casa de Dom Inácio de Loyola.

La Casa de Dom Inácio de Loyola

Fils d´une famille de simples couturiers, né dans le village de Cachoeira de Goiás (188 km de Brasilia) en 1942, João Teixeira de Faria  (son nom de naissance) aurait eu sa première révélation à l´âge de 16 ans. Adolescent un peu perdu en quête d´une vie meilleure, il tentera sa chance dans le Mato Grosso. C´est là, qu´au cours d´une baignade dans une rivière isolée, Sainte Rita de Cascia(Rita de Cássia au Brésil) lui serait apparut. Le lendemain, il décida de retourner au même endroit, pour voir si le phénomène se reproduirait. Mais cette fois c´est Saint Ignace de Loyola qui se manifesta en s´adressant au jeune homme et lui conseillant de se rendre dans un centre spirite. C´est, selon João de Deus, à partir de cette expérience qu´il deviendra spirite, devenant disciple de Chico Xavier, le plus célèbre des médiums du Brésil (décédé en 2002). En 1976, João rentre dans sa région de Goiás et fonde à Abadiânia le centre spirite connu comme Casa de Inácio de Loyola, c´est là que depuis 44 ans il opère et soigne ses patients.

Avec une moyenne de 5.000 visites par jour, la petite ville d´un peu moins de 20.000 habitants vit au rythme du centre spirite et de la présence de João de Deus. Grâce à lui, le commerce s´y est considérablement developpé depuis 40 ans, c´est qu´il en faut des hébergements, des restaurants, des taxis, des autocars, pour accueillir tous ces « pélerins » et patients, sans parler des activités et commerces dont ont besoin les habitants. João de Deus est donc un véritable bienfaiteur pour cette population, qui tremble aujourd´hui en pensant aux conséquences que pourraient avoir le scandale des abus sexuels sur l´économie locale. João de Deus en prison, à Abadiânia on ne pouvait imaginer pire catastrophe. Pourtant, les ennuis ne sont pas nouveaux pour le médium, qui au cours de sa longue carrière a du, à maintes reprises, en débattre avec la justice et la police, le plus souvent à la suite de plaintes pour pratique illégale de la médecine. Il est vrai que les médecins diplomés ne font pas fortune dans le coin, certains appellent cela de la concurrence déloyale. Mais quand on est João de Deus, tout s´arrange, les dossiers trainent, les plaintes se retirent, ou se prescrivent. Avec la foi on déplace des montagnes, l´argent et temps font le reste..

En plus des séances médiumniques de João de Deus, la Casa de Inácio de Loyola possède une librairie, qui vend essentiellement de la littérature spirite, un snack avec encas et boissons, et une pharmacie qui propose les produits fait maison, là encore une source d´ennuis avec l´agence nationale (ANVISA) qui autorise la mise sur le marché des médicaments au Brésil. Les médicaments de João de Deus sont comme lui, autodidactes.

Il y a enfin la boutique des gemmes et cristaux, des quartz bénis, des émeraudes et des améthistes brutes bourrées d´énergie, tout un assortiment vendu au détail aux patients et qui rempli les caisses du centre spirite. Ces commerces alimentent directement la Casa de Dom Inácio, c´est une façon de récolter des fonds, puisque les guérisons sont gratuites.

La boutique des cristaux.

La boutique des cristaux.

Les victimes

Près de 600 femmes déclarent avoir été victimes d´abus sexuels par João de Deus, la moitié d´entre elles ont déposé plainte. Tout cela a commencé en novembre dernier, quand une patiente hollandaise a jeté la première pierre en dénonçant le médium. Suite à cela, d´autres victimes ont temoigné, sous anonymat, lors d´une émission de télévision (la victime hollandaise est la seule à avoir témoigné à visage découvert). Selon les premières dépositions, il y avait une constante dans la pratique des viols. João de Deus choisissait ses proies lors des séances collectives de prières et de guérisons, puis leur proposait un complément particulier, puisqu´elles avaient été choisis par les esprits. Il les recevait alors individuellement dans son cabinet, que toutes décriront comme une grande pièce avec une salle de bains et un canapé. C´est là que le médium opérait, en général il les faisait lui tourner le dos pour les pénétrer, ou leur demandait de le masturber, d´autres devaient lui faire une fellation. Toutes déclarent avoir reçu des menaces d´ordre spirituel, en gros il fallait passer à la casserole pour que le travail des esprits fonctionnent et surtout qu´ils ne se retournent pas contre d´éventuelles récalcitrantes. Il y a des mauvais esprits, tout le monde le sait, sauf peut-être ces jeunes femmes, parfois même des fillettes (à partir de 9 ans), qui se retrouvaient tétanisées, sans vraiment comprendre ce qui se passait, après tout, comment douter d´une telle sommité ? C´est souvent après, parfois même des années plus tard, que ces victimes reprenaient leurs esprits, les bons cette fois.

On peut bien sûr se demander pourquoi ces dénonciations maintenant, et c´est bien entendu un des arguments de la défense de João de Deus. Il se trouve que les plaintes ne sont pas nouvelles, plusieurs ont été déposées au cours des dernières années, mais aucune n´a abouti. La honte rend aussi les gens silencieux, c´est terrible comme les victimes sont souvent plus honteuses que leur propres bourreaux. En tout cas, les réseaux sociaux ont joué un rôle de tout premier ordre dans cette affaire, la victime hollandaise ayant créé un compte Facebook rien que pour cela, ce fut l´explosion générale, des centaines de plaintes se sont mises à affluer du monde entier.

João de Deus se rend à la police le 16 décembre, il est mis en prison préventive.

João de Deus se rend à la police le 16 décembre, il est mis en prison préventive.

La situation de João de Deus

A ce jour, João de Deus fait l´objet d´une enquête pour viols, abus de personnes vulnérables, violences sexuelles, fraude et port d´arme illégal. Il nie en bloc, pour lui ce ne sont que des mensonges proférés pour le faire tomber. João de Deus aurait donc des enemis ? Il nie les « séances » privées, selon lui il recevait toujours ses patients en groupe, il a même des témoins. Puis il dit ne pas connaitre ces femmes, en tout cas ne pas s´en souvenir. L´enquête risque d´être longue, des centaines de témoins doivent être entendus, certains en faveur de João de Deus ; mais que valent les témoignages de ceux qui n´ont aucun intérêt à ce que la poule aux oeufs d´or termine sur le grill ? Et puis il y a les endoctrinés, ceux que la foi rend aveugles, et ils sont légion à gravir autour de la Casa de Dom Inácio de Loyola, sans parler des miraculés, car il faut bien se rendre à l´évidence, en 40 ans d´exercice de la médecine spirituelle, João de Deus aurait guéri des milliers de personnes. Là encore un argument de sa défense. João de Deus a fait le bien. Puis ne dit-il pas n´obéir qu´à dieu ? Ce serait à dieu qu´il s´en remet en première instance, mais il dit aussi croire en la justice des hommes, il s´est donc rendu de son plein gré à la police.

En revanche, il n´explique toujours pas la présence d´une demi douzaine d´armes à feu à son domicile, aucune n´étant légalisée. João de Deus n´a pas de Port d´Arme, une charge supplémentaire. Si au moins il s´était muni de fusils, il aurait pu expliquer qu´il chassait le cerf et le perdreau dans l´un des six domaines dont il est le propriétaire dans la région. Mais des revolvers ! Que diable peut faire un médium avec de telles armes ? Menacer de mort certaines victimes ? Et si c´était aussi pour protéger le pactole en espèces (plus d´un million de Reais) saisi à son domicile ? Des cambrioleurs à Abadiânia, dans la maison de l´homme le plus connu de toute la région ! João de Deus dira qu´il s´agit principalement de dons, mais aussi de la recette de ses fermes, qui, selon lui, rapportent 60.000 Reais par mois (environ 14.000 Euros). João de Deus n´aurait donc pas de compte en banque ?! Sans doute a-t-il jugé plus sûr de garder son bas de laine derrière une porte secrète au fond d´une armoire. Heureusement que la police a du flair, car s´il fini en prison les termites auraient eu raison de sa cagnotte sans que personne ne puisse en profiter. A moins que sa neuvième épouse ait eu accès à la cachette secrète, après tout elle qui vit avec lui. Les huit autres épouses l´ont quitté, on en connait pas la raison, mais les mauvaises langues disent que c´est par jalousie, car João de Deus a eu un enfant avec chacune de ses neuf femmes. Rien n´est jamais simple dans les familles, en tout cas, son épouse actuelle le défend, pour elle il est innocent. Ce n´est pas l´avis d´une de ses filles, qui a déclaré à la police avoir été abusée par son père dès l´âge de 10 ans, des viols qui auraient duré pendant quatre ans. Elle aurait même avorté après avoir été agressée et menacée de mort par le médium en découvrant qu´elle était enceinte. Un témoignage qui va peser lourd contre lui.

Et la Fédération Spirite du Brésil ?

Le spiritisme européen, inspiré de la doctrine du Français Allan Kardec, est une véritable religion au Brésil (voir article sur ce blog, décembre 2016), elle compte plus de 40 millions de sympathisants et 15.000 centres dans tout le pays. La FEB (federação espírita brasileira) déclare avoir reçu un grand nombre de demandes d´explications après ce scandale de João de Deus. Une bonne occasion, selon elle, pour rappeler quel est le vrai rôle du médium. Elle explique tout d´abord, que les interventions avec incision ne sont pas la règle, elles sont d´ailleurs de moins en moins utilisées, voire bannies par une bonne partie des centres sprirites. La FEB ajoute que le médium doit privilégier la guérison spirituelle plutôt que la physique, et utiliser son don le plus modestement possible et uniquement pour le bien d´autrui, qu´en aucun cas il ne doit agir par vanité, par égoïsme et au profit du culte de sa propre personnalité, sous peine de perdre son don. Ce n´est précisément pas la règle que semble avoir appliqué João de Deus.

La FEB précise aussi que la Casa de Dom inácio de Loyola n´est pas membre de la fédération, même si elle se revendique de la même doctrine kardéciste. Autrement dit, João de Deus n´avait de comptes à rendre à personne, il régnait en maitre absolu sur son centre spirite, et sur Abadiânia aussi, car des témoins affirment aujourd´hui qu´il ne consultait pas seulement pour des guérisons, mais était aussi recherché pour ses bons conseils en matière de business local. C´est peut-être pour cela que lors de son interrrogatoire au commissariat de police, il se déclara homme d´affaires quand on lui demanda sa profession.

Les armes et l´argent saisis au domicile de João de Deus.

Les armes et l´argent saisis au domicile de João de Deus.

Que devient Abadiânia et la Casa de Dom Inácio sans João de Deus ?

C´est incontestablement la réputation de João de Deus qui attirait l´immense majorité des visiteurs à Abadiânia et au centre spirite. La crainte de la population locale est que cet afflux disparaisse, mais il est peu probable que ce soit la fin de la Casa de Dom Inácio, que le nombre des patients chute semble évident, principalement le public étranger, plus sensible aux questions de charlatanisme. Par ailleurs, João de Deus n´était pas seul, il était entouré de nombreux médiums qui peuvent continuer d´appliquer  les soins spirituels. La question est de savoir s´il avait des complices au sein du centre, ou que certains soient aussi accusés d´abus sexuels. Dans ce cas le centre aurait du mal à survivre. Pour le moment, la population locale attend le verdict et le centre spirite continue d´entrenir « l´énergie » de son fondateur, mais si à la conclusion de l´enquête il est prouvé que João de Deus a bien commis les crimes dont on l´accuse, tout peut arriver.

João de Deus peut finir sa vie en prison ?

Il devrait finir sa vie derrière les barreaux, ce qui est encore peu au regard des crimes qu´il a commis. Mais il est riche, immensément riche, et il est âgé (76 ans) avec une santé fragile. Il pourrait dans ces conditions s´en sortir avec une prison domiciliaire.  Mais son cas est tellement médiatisé au Brésil, c´est la novela du moment, qu´aucun juge ne prendra le risque d´une peine légère ou d´une relaxation. Il a beau évoquer les mensonges et l´intérêt pécunier de ses accusatrices (demandes de dommages et intérêts), sur presque 600 témoignages (et ce n´est pas fini) il est évident que la plupart sont fondés et désintéressés. Les victimes veulent aujoud´hui exorciser ce poid qu´elles portent en elles, refermer ces blessures, ces humiliations, ces souffrances, voire pour les plus croyantes se reconcilier avec un divin que João de Deus a trahi en agissant en son nom. Il ne pourra plus désormais s´appeler Jean de Dieu,  un homme qui a profité de sa position, de sa notoriété et de la vulnérabilité de ses victimes pour satisfaire ses fantasmes les plus ignobles et son plaisir le plus bestial, ne mérite plus d´être associé au divin. Il faut oublier le médium, car ce qu´il a fait n´a rien à voir avec le spiritisme, on doit désormais le ranger aux côtés des violeurs innommables, ou encore des prêtres pédophiles de l´église catholique, car le principe est le même.

João Teixeira de Faria a beau évoquer dieu dans chacune de ses phrases, il ne fait que l´utiliser à ses propres fins, il se dit inspiré de Saint Ignace de Loyola mais sans doute n´a jamais suivi son enseignement dont la base était qu´un homme ne prend une décision qu´en communion avec dieu. Il ne lui reste donc plus pour seul recours que Sainte Rita de Cássia, sa seconde inspiration, reste à savoir si cette religieuse italienne connue pour être la sainte des causes perdues, elle qui lui est apparue lorsqu´il avait 16 ans, pourra en tant que femme le pardonner.

Le détenu João Teixeira de Faria.

Le détenu João Teixeira de Faria.